Quelques réflexions sur le prognathisme
En 1974, au prélude de la récupération de la race ou de la reconstruction (c'est selon) il y avait une necessité impérieuse à définir des caractéristiques propres au Cane Corso de façon à prouver que c'était une race en tant que telle faisant partie du patrimoine national. Deux des grands signes communs et distinctifs de la "pureté" des sujets de départ était leur prognathisme inférieur et la convergence des axes crano-faciaux. A l'époque et concernant le prognathisme, il y avait ceux qui étaient pour et évidemment ceux qui étaient contre. Ceux qui étaient pour ont gagné ! Mais l'argumentation des protestataires était soutenable soulignant assez ironiquement que le standard rédigé en 1987 par le professeur Morsiani était basé essentiellement sur les critères d'un chien : BASIR (fils de DAUNO et TIPSI) et que ça arrangeait bien tel ou tel éleveur. Et s'il n'avait pas été prognathe disent-ils ? La question est posée... Dans les lignes qui suivent, je vais explorer certaines subtilités d'interpretations du standard.
A l'heure actuelle dans le Cane Corso, dès lors que les incisives inférieures basculent devant les incisives supèrieures, le chien n'est pas sorti du ring, quand bien même ne serait-il pas prognathe. En gros vous présentez un chien à un juge avec museau long ou des faces latérales de chanfrein non parallèles, en fait un bon gros défaut, s'il y a basculement des incisives inférieures devant celles supérieures, aux yeux du juge c'est bon. On peut présenter un sujet avec de bonnes proportions de tête, de corps ou de caractère, s'il n'y a pas ce fameux basculement des incisives, il n'ira pas plus loin, le juge le sortira arguant du fait que le chien n'est pas prognathe. Dans l'absolu c'est bien mais il n'y a aucune raison que le juge s'attarde plus là-dessus que sur autre chose et surtout que ce soit un élément plus déterminant qu'une mauvaise convergence des axes crâne/museau, un manque de parallèlisme des faces latérales du museau voire même un museau cubique très cher au CAMILA et à sa comission d'experts. Malgré tout, il ne faut pas perdre de vue que le prognathisme inférieur est une caractéristique FONDAMENTALE de la race.
Je ne serai pas aussi catégorique quand à l'exclusion systématique des sujets en ciseaux car le standard ne le considère que comme un défaut "grave" et non comme "rédhibitoire" ou "disqualifiquatif". Le standard place la fermeture en ciseaux sur le même plan qu'un prognathisme trop prononcé (c'est à dire plus de 0.5cm, à peu près la fermeture idéal d'après le standard It. ), un prognathisme important passe pratiquement sans problème contrairement aux fermetures en ciseaux qui sont exclues systématiquement... Et pour le psychopathe de l'application stricte du standard cela devrait être insupportable ! J'aime à penser et ce dans une logique de selection qu'il faudrait être plus sévère sur un sujet avec un excès de prognathisme qui aurait un chanfrein trop long, que sur un sujet avec de bonnes proportions de tête qui aurait une fermeture en ciseaux. Car ne l'oublions pas le prognathisme est un maillon parmi tant d'autres dans la structure de la tête d'un Cane Corso.
Le problème de fond est que veut dire le standard quand il parle de prognathisme. Est-ce le prognathisme proprement dit ou juste une fermeture en ciseaux inversés ? Le standard ENCI précise "environ 0.5 cm", mais en même temps à trop travailler dans ce sens la "Boxérisation" des têtes est inévitable dans les prochaines années, sans compter sur l'interdiction des coupes d'oreilles qui va quelque peu amener des chiens surtypés de façon à récupérer un peu de "gueule". D'autant que l'on voit des têtes de plus en plus hautes si l'on part de la base de la mâchoire jusqu'au dessus crâne et de plus en plus courtes en partant de l'occiput jusqu'au bout de museau. Ce qui donne une forme plutôt "cubique" à la tête et un risque de bi-convergence accrues avec des faciès plus écrasés. La tête du Cane Corso est rectangulaire et de même longueur que le cou. "...36% de la hauteur au garrot..."
Voyons de plus près la définition du Larousse de prognathie ou du Robert de prognathe :
Robert : "Qui a les maxillaires proéminents, qui a le menton saillant",
Larousse : "Saillie en avant des os maxillaires".
Dans ce sens l'espèce canine est manifestement prognathe, alors on n'a pas fini... Pour bien comprendre la réalité physique de la race il faut admettre cette chose qui est que le Cane Corso est rétrognathe supérieur plus que tout simplement prognathe inférieur. La partie supérieure de la mâchoire est plus courte que la partie inférieure. Ce raccourcissement du museau est apparu sur des chiens utilisés pour chasser. D'où l'extrème importance du 2/3 : 1/3 dans les proportions de la tête. "...Le chanfrein fait 34% de la longueur totale de la tête..." Cette insuffisance de la croissance de la face a été recherchée chez le Cane Corso "chasseur" pour permettre une meilleure aération lors de la prise. Au moment de la rédaction du premier standard par le professeur Morsiani, tous les chiens n'étaient pas prognathe, mais une grande partie l'était et cela permettait aussi de donner une particularité supplémentaire au Cane Corso pouvant le différencier de son cousin le Mâtin Napolitain (chose importante pour la reconnaissance de la race). Donc la raison n'était pas purement propre à la race dans sa globalité. Quoique d'une manière générale cette caractéristique est assez bien fixée. Il suffit de respecter quelques "paramètres" dans sa selection et ça ira. Ce qui est moins bien fixé, ce sont les débats stériles et vides de sens sur le sujet, chose très franco-française au deumeurant...
Quelle est l'utilisation réelle du Cane Corso ? Comment standardiser une race qui a autant d'utilisations ? Prenons deux exemples d'utilisations opposées. On pourrait faire la même chose avec le poids, la taille,... mais là n'est pas le sujet...
Dans la mesure d'une utilisation avec des troupeaux, le prognathisme inférieur se justifie car lorsque le chien attrape la bête, il ne l'abîme pas. Dans le cas contraire, la chose qui me fait réfléchir, c'est comment un chien de prise peut-il être prognathe ? Quand on veut prendre quelque chose on utilise des tenailles, pas des ciseaux, ni quelque chose de tordu (Antonio NORES MARTINES). La réponse se trouve dans la courbure des mâchoires qui est une des particularités du Cane Corso. La morsure du Cane Corso doit être une morsure ferme et qui ne déchire pas les tissus.
Des voix et non des moindres s'élèvent contre le caractère prognathe du Cane Corso et réclament un retour au statut de fermeture dite "en tenaille" ou "pince" et ainsi ramener le prognathisme à un défaut grave, c'est tout dire... Ce n'est pas forcément une volonté prioritaire en Italie mais il y a quand même beaucoup de personnes favorable à ça et non des moindres. Personellement je trouve que leurs arguments tiennent debout et sont plus cohérents que le flou artistique actuel, car hélas toutes les interprétations sont possible au vue de ce qu'est véritablement le prognathisme (avec tous ces paramètres à respecter), le standard F.C.I. (qui parle d'un léger prognathisme) et enfin la réalité d'un beau chien bien typique. Evidemment l'argument massue qui dit que le standard a été rédigé sur un et un seul chien ( BASIR) est un peu faible car il n'en est rien. Basir était le chien se rapprochant le plus du standard à ce moment là et le Professeur Morsiani en a quand même vu plus d'un pour rédiger son standard, il évoque aussi PLUD un des chiens fondateur de la ligne de sang DYRIUM. Les bonnes âmes spécialistes, en le voyant, grimperaient aux rideaux en constatant qu'il avait des yeux très clairs pour une robe noire avec des bringeures assez prononcées sur les pattes, cela n'a pas gèné M. Morsiani et l'a désigné comme un sujet très typique et représentatif. Le reste appartient à l'Histoire et quelle belle histoire. Sans compter sur l'inestimable travail de recherche de messieurs Indiveri et Breber.
|
|
Ceci étant le Cane Corso est prognathe c'est écrit et pis c'est comme ça et pas autrement ! OK mais on va regarder ça de plus près et je vais être un poil tatillon et me faire l'avocat du diable. Le prognathisme est tout de même une déformation du squelette et il ne faut pas confondre prognathisme et un mauvais articulé dentaire appelé aussi "mauvaise occlusion". Il éxiste trois formes d'articulé qui se constatent au niveau des incisives :
- L'articulé en ciseaux : Les incisives supérieures passent juste devant les
incisives inférieures. Cet articulé est le plus fréquent et considéré comme
le plus "normal".
- L'articulé en "tenaille" ou en "pince" : Les incisives se superposent
accentuant l'usure prématurée de celles-ci ou un mauvais alignement.
- L'articulé inversé ou ciseaux inversés : Les incisives inférieures passent
devant les incisives supérieures.
Mis à part la position différentes des incisives et dès lors qu'il n'y a pas de perte de contact, on parle toujours d'articulé et non de prognathisme. Pour ces trois articulés il n'y a pas modification du squelette, donc parler de "prognathisme inférieur jointif" n'a aucun sens ! Un chien en ciseaux est-il prognathe supérieur jointif ? Evidemment que non ! Alors pourquoi est-ce la volonté du club en place ? Auraient-ils des infos de dernières minutes ?
Trop souvent on a tendance à ne regarder que les incisives inférieures et leurs espacements d'avec celles du bloc supérieur, c'est bien mais pas assez car ce n'est pas ça qui détermine le caractère prognathe d'un sujet. En ce qui concerne le Corso on parle bien de prognathie et non de ciseaux inversés.
Pour déterminer le prognathisme il faut s'appuyer d'une part sur des éléments de conformation du squelette de la tête et d'autre part sur les critères dentaires. Dans le cas du prognathisme inférieur l'élément significatif de la conformation du squelette se traduit par une mandibule dont les branches sont incurvées, ce qui est d'ailleurs mentionné dans le standard "...mâchoire courbe...".On peut déjà trouver là un début d'explication au fait qu'il y ait tant de différents sujets car certains ont un profil mandibulaire droit dit en "spatule" (mâchoire sans courbure) qui traduit généralement une faiblesse de la mâchoire et de l'ossature du museau. Ce problème est généralement typique des museaux longs, cubique et/ou des museaux dont les faces latérales ne sont pas parallèles (museau conique).
Pour une verification par les critères dentaires autre que le positionnement des incisives il faut vérifier celui des canines et des prémolaires. Un espacement de plus de 0,2 cm doit séparer les canines inférieures de celles supérieures et un décalage des Pré-molaires doit être visible. D'une manière générale pour un chien à occlusion dentaire "normale" donc non-prognathe, les prémolaires (Pm) s'alternent, mais dans le cas du Cane Corso et de son fameux "prognathisme" elles se décalent et peuvent même pratiquement se superposées. Le plus facile pour se rendre compte est le rapprochement des Pm4 inférieures avec les Pm3 supérieures car celles-ci sont normalement accolées aux molaires supérieures mais là vue le décalage de la mâchoire, elles se déplacent vers l'avant. A noter aussi qu'en raison de la courbure des branches inférieures de la mandibule (ce qui est un élément de la typicité du Cane Corso), cela écarte l'arcade du haut de celle du bas et on a des molaires sup. qui ressortent et ne se superposent plus. On peut aussi trouver des sujets prognathes au sens strict avec un articulé des incisives en ciseaux mais ils seront écartés bien qu'ils peuvent être typiques au profit de sujets avec l'articulé recherché n'étant pas réellement prognathe même s'ils sont de qualités moindre. Comme on peut le constater les choses ne sont pas si simple, il suffit juste de ne pas confondre prognathisme et articulé inversé.
C'est pour toutes ces raisons et la complexité du prognathisme que je pense qu'il faut rester à une lecture sur les incisves qui correspond à la réalité de la race. Pour le reste la typicité est garantie par d'autres critères explicitement mentionnés dans le standard, il suffit de les respecter.
C'est pourquoi au vue du standard actuel, la réalité de la race et les déviances futures possible que je préconise plus d'insister sur la conformation du crâne, le 1/3 : 2/3, la bonne convergence des axes crâne/chanfrein, un bon stop ( 105°), le parallèlisme des faces latérales du museau, la bonne largeur de la mandibule, du museau et de la truffe, la forme et la position de l'oeil... La tête quoi !!! Pour ce qui est des mentons avancés c'est une question de goûts mais il faut savoir que de profil on ne doit rien voir dépasser, l'angle de la face supérieure du chanfrein avec la face antérieure doit être de 90°. Ce qui fait la typicité de la tête, c'est plus la courbure de la machoîre que l'avancée seule du menton, ce n'est pas un tiroir caisse ! Là encore rechercher une légère perte de contact des incisives (environ 2 ou 3mm) serait une bonne solution sans trop rentrer dans tous les détails qui font ce qu'est le prognathisme et pour contenir les dérives il faudra ne pas perdre de vue ce fameux angle de 90° du bout de chanfrein visible de profil tout en respectant un menton légèrement avancé visible de face.
Un jugement de chien se fait au cas par cas, une meilleure analyse et une meilleure maîtrise de ces paramètres de la part des "spécialistes ès-Cane Corso" serait salvateur et calmerait les esprits. |